Le sujet est pris au sérieux. Le Pentagone a reconnu, le 18 mai, qu'un "nombre croissant" d'objets non identifiés avaient été repérés dans le ciel depuis vingt ans. Cette déclaration est survenue lors de la première audition publique au Congrès américain consacrée aux "phénomènes aériens non identifiés" (dont l'acronyme est PAN, en français). Scott Bray, le directeur adjoint du renseignement pour l'US Navy, précise que rien n'a été détecté "qui puisse suggérer une origine non terrestre". Toutefois, il n'a pas non plus définitivement exclu cette possibilité.
Pour illustrer ces observations et tenter de mieux les comprendre, franceinfo revient sur trois vidéos déclassifiées par le Pentagone. Les trois documents sont téléchargeables sur le site officiel de l'administration américaine (en anglais), qui parlait en 2020 de publications "historiques" (en anglais), même si elles avaient circulé auparavant et que l'US Navy, la marine américaine, avait déjà confirmé leur authenticité l'année précédente.
Que montrent ces vidéos ?
Les documents nommés "Flir", "Gimbal" et "Go fast" sont en noir et blanc. La première vidéo a été enregistrée le 14 novembre 2004 au large de San Diego (Californie). Appelé Flir, cet événement est aussi connu sous le nom d'"USS Nimitz encounter". Les deux autres datent de janvier 2015. Les trois vidéos ont été prises "par des pilotes de l'US Navy, grâce aux caméras infrarouges installées dans les avions de chasse", expliquait en mars 2020 Roger Baldacchino, alors responsable du Groupe d'études et d'informations sur les phénomènes aérospatiaux non identifiés (Geipan), rattaché au Centre national d'études spatiales (Cnes).
Dans la vidéo du phénomène appelé "Flir", il est possible de distinguer une forme allongée, que certains commentateurs ont surnommée "Tic Tac", d'après la marque de bonbons. Une fois repérée par l'appareil de l'US Navy, la forme mystérieuse disparaît sur la gauche de l'image après une soudaine accélération. La vidéo de 1 minute 17 est particulièrement silencieuse, comme il est possible de le constater ci-dessous.
Dans la vidéo du phénomène appelé "Gimbal", un objet de forme ovale se déplace avec une mer de nuages en arrière-plan. Contrairement à la vidéo précédente, les commentaires des pilotes sont audibles. "Il y en a tout un essaim (...) La vache, ils vont tous contre le vent ! Un vent d'ouest de 120 nœuds !" lance l'un d'eux, avant qu'un autre souligne que l'objet, qui n'a pas d'ailes, est en train d'effectuer une rotation, juste avant la fin de la vidéo qui ne fait que 35 secondes.
Dans la vidéo du phénomène appelé "Go fast", qui ne dure que 34 secondes, un petit point visible au-dessus de l'eau se déplace à très vive allure. Après avoir réussi à verrouiller son viseur dessus à la troisième tentative, un pilote crie joyeusement "Wow, je l'ai !" "C'est quoi, ce truc ?" s'interroge un autre.
Quels sont les éléments notables ?
Pour "Flir", le récit est riche. David Fravor, l'un des pilotes qui ont réalisé l'observation, s'est exprimé dans de nombreux médias. "Tout d'abord, cela n'avait pas d'ailes, donc on pensait que c'était un hélicoptère, mais il n'y avait pas de souffle du rotor sur l'eau, pas de rotor", a-t-il relaté sur CNN (en anglais) dès 2017.
"It's easy to doubt what we can't explain" - Commander David Fravor, a former U.S. Navy pilot, encountered an unknown flying object, calling it "something I had never seen in my life" https://t.co/SiPTYb2xM1 pic.twitter.com/mpaiudlnVL
— OutFrontCNN (@OutFrontCNN) December 20, 2017
"C'était extrêmement brusque, comme une balle de ping-pong qui rebondit sur un mur et change de direction, a également souligné David Fravor. Et sa capacité à planer au-dessus de l'eau puis à repartir à la verticale de 0 à plus de 12 000 pieds, puis d'accélérer en moins de 2 secondes et de disparaître, c'est quelque chose que je n'ai jamais vu de ma vie." L'objet "se déplaçait très rapidement et de manière très irrégulière et nous ne pouvions pas anticiper la direction qu'il allait prendre ou la manière dont il manœuvrait", a également déclaré l'ancienne pilote Alex Dietrich, également témoin de la scène, comme le rapporte la BBC.
"Je crois, comme les autres témoins qui ont vu l'objet ce jour-là, qu'il s'agit de quelque chose qui ne vient pas de notre monde."
David Fravor, pilote témoin de l'observation intitulée "FLIR" sur CNN
Pour les deux autres événements, "Gimbal" et "Go Fast", aucun pilote présent sur place n'a témoigné. Impossible d'en savoir davantage sur le contexte de ces observations. Mais de façon générale, Andrea Themely, ancienne pilote de l'armée américaine, relève auprès du magazine spécialisé Wired (en anglais) que ces phénomènes n'ont pas d'ailes et qu'aucun moyen de propulsion n'est visible, en tout cas aucun moyen de propulsion connu jusqu'à maintenant, car ils apparaissent froids à la caméra infrarouge. De plus, ils se déplacent visiblement à une vitesse extrêmement élevée. Selon les données radar du porte-avions USS Princeton, le Tic Tac a pu atteindre la vitesse de 74 000 km/h, soit Mach 60, c'est-à-dire 60 fois la vitesse du son. A titre de comparaison, parmi les avions de chasse de l'armée française, le Rafale peut atteindre Mach 1,8 et le Mirage 2000 peut se déplacer jusqu'à Mach 2,1.
Les déplacements de ces phénomènes interrogent dans la mesure où ils semblent défier ce qui est physiquement possible. Pour "Gimbal", par exemple, "le commentaire des pilotes atteste de leur surprise face à un changement d'attitude qui défie les lois de la mécanique de vol, puisque plaçant l'objet orthogonalement à l'écoulement aérodynamique", a analysé l'Association aéronautique et astronautique de France (3AF) dans sa lettre d'octobre 2020. Toutefois, l'association se montre prudente, jugeant "plausible" "un défaut dans le plan focal intermédiaire du système optique du pod [l'équipement installé sur l'avion]".
Quelles conclusions en tirer ?
Pas grand-chose, selon l'Association aéronautique et astronautique de France. Pour elle, les vidéos des événements "Flir" et "Gimbal" "sont d'une trop mauvaise qualité pour espérer en extraire des informations". Seule celle de "Go fast", de meilleure qualité, "peut fournir des informations pertinentes". Mais cela reste limité. Même pour cette vidéo, "il est impossible de tirer la moindre conclusion car on ne sait pas où est l'avion. Vous avez dans le champ de la caméra un certain nombre d'indications (...) mais on ne sait pas du tout où est l'avion", a tranché Luc Dini, président de la commission technique SIGMA2 de 3AF, auprès du Figaro en juillet 2021.
Au-delà de la qualité des vidéos, le manque d'informations précises sur ces trois documents représente un frein majeur à leur analyse. Sur "Flir", par exemple, Luc Dini a déclaré sur la chaîne YouTube Maybe Planet, après l'audition au Congrès américain : "Il n'y a aucun rapport [public] qui permet de détailler ce qui s'est passé, ce qui a été vu par telle ou telle plateforme, tel ou tel radar, où était le F-18, à quelle distance probable..." Avant d'insister : "On ne voit pas véritablement de données sur ces cas qui permettraient de mieux comprendre ce qui a été vu ou pas. C'est cela qui est embêtant."
Si aucune conclusion ne peut être tirée, le champ des interrogations reste ouvert. Ces engins qui semblent échapper à la gravitation ont-ils été élaborés secrètement par d'autres pays comme la Russie ou la Chine ? Alain Juillet, l'ancien directeur des renseignements à la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), n'y croit pas. "Si un pays dans le monde avait réalisé une telle découverte, on le saurait. Aucun progrès de cette ampleur ne peut rester secret", jugeait-il dans les colonnes de Paris Match en 2020. "D'une façon ou d'une autre, il y aurait eu des fuites, une indiscrétion des scientifiques qui travaillent dessus... Puisqu'il n'y a absolument rien eu, c'est que c'est autre chose et que ça échappe à la dimension terrestre", suggère-t-il.
L'hypothèse d'engins fabriqués par une intelligence non humaine a-t-elle le vent en poupe ? Le Congrès américain ne la privilégie pas et ne l'écarte pas non plus. "Les phénomènes aériens non identifiés constituent une menace potentielle pour la sécurité nationale (...) Et ils doivent être traités comme tels", selon l'élu démocrate André Carson, chef de la commission parlementaire à l'origine de l'audition. Le principe à garder en tête reste qu'inexpliqué ne signifie pas inexplicable. En France, le Geipan recueille et vérifie méthodiquement les signalements de phénomènes aérospatiaux non identifiés. Après enquête, seuls 3,3% des cas (98 sur 2 978 cas étudiés) sont classés non identifiés.
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