Qu’il ait l’air d’accélérer ou de ralentir, qu’il soit linéaire, cyclique ou hélicoïdal, le temps est tout relatif à son observateur et à son tunnel de réalité.
Peut-on voyager dans le temps par l’esprit ?
Se poser dans l’instant présent pourrait-il nous mettre en contact avec le passé… mais également avec le divin ?
« Quels sont les deux jours de l’année où il est impossible de faire quelque chose ? » aime demander Stéphane Mouchabac, psychiatre à l’hôpital Saint Antoine de Paris. « Hier et demain ! » répond-il, sourire ajouté. C’est clair, net et sans fêlure. Hier s’est écoulé pour l’éternité. Il nous est impossible d’agir demain, dès aujourd’hui. Ainsi l’homme évolue t-il dans la matière, l’espace et le temps présent.
Un voyage… rajeunissant
Albert Einstein, en nous tirant avantageusement la langue, nous a enseigné la relativité considérant que l’espace, la matière et le temps étaient indissociables. Selon cet as de la physique, plus un corps se déplace rapidement dans l’espace et plus le temps s’écoule lentement du point de vue de ce corps. Plus précis encore, le temps ralentit sept fois pour une particule lancée à 99% de la vitesse de la lumière (environ 300.000 kilomètres/seconde). Les accélérateurs de particules confirment la règle : « Lorsqu’elles sont au repos, les particules instables appelées muons ne durent qu’une fraction de seconde avant de se désintégrer », explique Marc Seguin, réalisateur d’une vidéo de vulgarisation sur le temps (1). « Mais lancées à une vitesse égale à 99,94 % de la vitesse de la lumière, elles survivent 30 fois plus longtemps ce qui équivaut aux prédictions d’Einstein. Dans les plus gros accélérateurs de particules, on peut ralentir le temps plus de 100.000 fois ». Les voyages dans le temps aussi, forment la jeunesse.
Pour les particules se déplaçant à la vitesse exacte de la lumière, le ralentissement du temps devient infini. A supposer que le corps et l’esprit soient des entités distinctes, on peut donc supposer que l’esprit – déchargé de la matière du corps - se déplace à la vitesse de la lumière tout en évoluant dans un temps infiniment lent. Simple hypothèse. Une chose est sûre : dans l’espace-temps, le présent et le passé coexistent comme la gauche et la droite. Nous pouvons ainsi voyager dans notre passé en revivant nos souvenirs, en les conscientisant par le jeu de la psychanalyse, de l’intelligence personnelle ou de la mémoire cellulaire.
Le génosociogramme face au temps ancestral
« Sur nos chemins de libération, pour accéder à notre autonomie et à notre authenticité, nous nous sentons souvent dépassés par le poids de nos mémoires transgénérationnelles », explique sur son site Dominique Ravarit, formatrice en psychogénéalogie (2). « Elles agissent sur nous à notre insu, nous attirent dans leurs forces obscurcies, répétitives, qui doivent être purifiées et ramenées à la lumière pour alléger les canaux familiaux, et, par voie de conséquence la destinée individuelle : secrets de familles, non-dits, deuils inachevés, enfermement ou conflit relationnels, contraintes et injonctions, missions de réparation, etc. Nous avons à nous en pacifier, à retrouver l’héritage positif, lumineux de notre arbre, et enfin à nous éveiller à notre réalisation personnelle ». Comme si brûlait encore dans notre sang, le feu d’évènements anciens. Pour parvenir au décryptage du temps ancestral, il s’agit de réaliser un génosociogramme, soit un arbre généalogique « développé, commenté et décodé selon la méthode d’Anne Ancelin », précise Dominique Ravarit.
On y découvrira les « constitutions des familles, les grands évènements qui les ont marquées, les transmissions d’injonction, ou les valeurs qui les ont animées, les différents caractères, les vocations, les qualités des relations ». Cet arbre permet d’identifier les rôles et les réussites de nos ascendants mais aussi leurs difficultés, leurs épreuves et leurs éventuels traumatismes. Autant de mémoire négative à relativiser et libérer afin de se connecter à l’héritage constructif et positif transmis par la mémoire de notre lignée. « La mémoire est la sentinelle de l’esprit » soulignait Shakespeare dans Macbeth.
Dans ce registre de la famille et du temps, visionnez également un vieux film de votre enfance - pourquoi pas numérisé. Vous allez être en mesure de vous voir au présent, quelque part dans votre passé. Il est important de prendre conscience qu’il s’agit de vous sur le film, de cet enfant qui est encore en vous. Essayez de vous remémorer ce que vous voyez comme si vous le viviez au présent. Cherchez à vous souvenir de l’enfant que vous étiez non pas de l’extérieur, mais de l’intérieur. Recherchez encore dans votre mémoire les sensations que vous éprouviez. Regardez maintenant la lumière qui se dégage du film. Cette lumière, qu’elle date des années 70 ou 2000, continue de voyager dans le temps puisqu’elle vient à vous dans l’instant présent.
Une question de relativité
Reste que nos corps font partie d’un Tout.
Nous sommes les cousins des marronniers qui vivent 250 ans, en moyenne, mais aussi des étoiles dont nous partageons environ 90% des atomes, nous rappelant ainsi que nos corps sont essentiellement des corps de lumière. « Un être humain est une partie du tout que nous appelons Univers », résumait Einstein. « Une partie limitée dans le temps et dans l’espace ». La limite ultime évoquée ici, c’est bien évidemment la mort. Aucun être humain, en effet, ne peut vivre sans passer, après un temps limité de vie sur la terre, par le décès du corps. Nous avons beau évoluer dans une société de l’instantané qui fait à peu près tout pour nous le faire oublier, la mort advient de manière certaine, du jour au lendemain, quelle que soit la qualité de nos esprits et de nos comptes en banque, les cercueils n’ayant pas de poche. À supposer que l’âme humaine survive au corps, en toute foi profonde qu’il ne sera jamais possible de prouver dans un laboratoire fut-il du MIT, alors cette âme entrerait immanquablement dans une nouvelle dimension où la notion de temps changerait de tempo.
Interrogeons-nous maintenant sur la manière dont nous avons concrétisé lreprésenté par une droite, qui est le temps des physiciens ».
Une droite où s’alignerait une série d’évènements.
« Penser le monde comme un ensemble d'événements, de processus, est le mode qui nous permet de mieux le saisir, le comprendre, le décrire »,
explique le physicien théoricien italien Carlo Rovelli dans son livre L’Ordre du temps (Flammarion, 2018).
« C'est l'unique mode compatible avec la relativité. Le monde n'est pas un ensemble de choses, c'est un ensemble d'événements. La différence entre les choses et les événements, c'est que les choses per
e temps. Il se calcule selon un mouvement terrestre identifié autour du soleil. Ainsi pour nous terriens, le temps se mesure par des mouvements saisonniers et astronomiques. Si vous fêtez vos 39 ans aujourd’hui, alors vous avez vécu 39 printemps, 39 étés, 39 automnes et 39 hivers, et la terre a fait 39 fois le tour du soleil depuis votre naissance.
« Le cerveau dispose d’une capacité intégrative qui nous permet d’associer un instant à un phénomène », explique le physicien Etienne Klein dans le cadre d’un débat avec la chercheuse Virginie Van Wassenhove (3).
« Notre cerveau nous dit qu’il y a un premier instant, puis un deuxième et un troisième et c’est cela qui créé l’impression d’un continuum qu’on appelle cours du temps ».
Et le physicien de citer un personnage de fiction qui entend l’horloge de son village sonner quatre coups et pense qu’elle est devenue folle en sonnant quatre fois une heure !
Sans notre capacité à associer les évènements d’un instant à l’autre, nous ne percevons plus le cours du temps.
Etienne Klein précise :
« C’est par notre capacité à dénombrer dans une série cohérente, et non pas une suite aléatoire, que le cerveau nous a peut-être permis de concevoir un cours du temps abstrait
durent dans le temps. Les événements ont une durée limitée. Le prototype d'une chose est une pierre : nous pouvons nous demander où elle sera demain. Tandis qu'un baiser est un événement. Se demander où se trouvera le baiser demain n'a pas de sens. Le monde est fait de réseaux de baisers, pas de pierres ».
De fait, la perception que nous avons du temps - et du monde - varie selon les évènements que nous vivons et l’interprétation que nous en faisons. L’inégalé Albert, encore lui, illustrait habilement ce principe :
« Une heure assis à côté d’une jolie femme semble durer une minute. Une minute assis sur un four brûlant semble durer une heure. C’est ça la relativité ».
Le temps divin
Sur notre terre vibrante et tournante, le temps est une ressource précieuse dont la perception varie selon les cultures. Tantôt linéaire, tantôt circulaire. Les hindous ont, par exemple, une conception du temps essentiellement cyclique. C’est un temps « structuré par des périodes, des seuils (initiation), des discontinuités (temps morts), des crises », souligne Olivier Meier, professeur des universités dans les Carnets du Business (4).
« En effet, dans la philosophie hindoue, le temps n’est pas conçu comme uniforme, ni homogène. Il est composé de périodes interdépendantes et dissemblables, avec une alternance d'états variables et de transformations. Les cycles se répètent ainsi que les rapports intra- et inter-cycliques. Tout se passe à la fois - en même temps et dans des temps différents ».
Alors le temps…linéaire ou circulaire comme un cycle qui se répèterait indéfiniment ?
« Pour nous chrétiens, le temps est à la fois linéaire et cyclique », explique Pierre Bothuan, prêtre catholique et ingénieur en agriculture. « C’est un temps hélicoïdal en quelque sorte, à l’image de l’ADN, qui progresse en se renouvelant constamment vers les hauteurs du ciel ». Un temps linéaire pour chaque évènement biblique qui se déroule du passé vers le présent donc, mais un temps liturgique aussi, qui célèbre les mêmes évènements chaque année, du Carême au temps de l’Avent dans un renouvellement permanent du temps présent.
La Bible souligne d’ailleurs qu’« Il y a un moment pour tout et un temps pour toute activité sous le ciel » (Ecclésiaste 3.1-15).
« Dieu, créateur de l’Alpha et l’Oméga, n’existe que dans l’éternel présent », précise Daniel Doré, prêtre catholique depuis 46 ans et enseignant.
« C’est la raison pour laquelle nous ne le situons jamais dans le futur. Nous préférons nous adresser au Dieu qui est, qui était et qui vient ». Il n’y a pas de rupture dans le temps divin. C’est un volume infini de lumière éternelle, une pure énergie cosmique évoluant au-delà de toute matière. C’est aussi le temps de la parole – « Au commencement était le verbe » écrit Saint Jean dans son évangile (1:1). Par son étonnante observation issue du même évangile, Jésus de Nazareth nous donne également sa propre version du temps : « Avant qu’Abraham fût, je suis » (Jean, 8 :58).
Que vous soyez croyant où que vous doutiez de l’existence de Dieu, tentez cette petite expérience :
entrez dans une église que vous aimez particulièrement. Asseyez-vous où vous le voulez, pourvu que cette place vous convienne vraiment. Gardez le silence et laissez votre regard se poser dans l’espace de l’église puis choisissez une œuvre - un tableau, un retable, une croix, une statue de pierre ou de bois - que vous trouvez à votre goût. Respirez lentement, en toute conscience de l’instant présent. Que vous dit cette œuvre sur sa présence, sur le temps de sa création… et sur vous ? Concentrez-vous encore, priez si vous êtes croyant, détendez-vous et laissez vos émotions advenir. Elles seront le début d’un voyage dans le silence et le temps. Elles pourraient faire naître en vous une lumière intérieure, une présence, un rayonnement intime. Soyez attentif à cette lumière, et savourez-là. Ne vous fiez qu’à votre ressenti et laissez venir l’étincelle du passé dans votre perception présente. Vous comprendrez alors, dans les jeux de lumières, pourquoi Jean Cocteau écrivait, hors du temps, que « la lune est le soleil des statues ».
La poésie, comme la science, sont des vecteurs essentiels pour comprendre la nature véritable du temps et voyager sur son fil.
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