Chronique Jacques Arnould, chargé de mission pour les questions d’éthique au Centre national d’études spatiales (Cnes).
Longtemps, le ciel a servi de territoire ou de prétexte au surnaturel : l’extraterrestre rimait avec l’extraordinaire et en défendait l’accès aux humains. Ceux-ci devaient se contenter de la condition que leur imposait le Créateur ou Dame Nature, selon l’enseignement de leurs traditions religieuses ou philosophiques. Ce temps n’est plus : ce que les historiens appellent la révolution copernicienne a brisé ce bel édifice, fait voler en éclats les sphères de cristal qui portaient les planètes et constituaient autant de frontières infranchissables aux êtres reclus dans leur misérable cachot terrestre. Mais quelles peuvent être pour l’humanité les conséquences d’un tel bouleversement ?
Il y a déjà belle lurette que nous nous interrogeons sur les limites à ne pas dépasser en matière de progrès ; si le refus de recourir à la transfusion sanguine paraît appartenir à une époque révolue ou, pour le moins, marquée d’un certain obscurantisme, le questionnement du caractère naturel ou artificiel des techniques de génie et de modification génétique n’a pas permis de trouver une solution aux inquiétudes qui leur sont associées. L’entreprise spatiale ne peut évidemment pas apporter de réponse définitive à ces interrogations auxquelles sont confrontées nos sociétés. Mais force est de constater que la perspective d’explorer, de conquérir, d’exploiter et même de coloniser l’espace a ébranlé quelques antiques certitudes concernant les frontières de l’être humain.
Vers un cyborg spatial ?
Je pense ainsi à l’idée du « cyborg », le cybernetic organism, autrement dit l’organisme cybernétique : un être humain (mais pourquoi pas, imagine la science-fiction, un autre être vivant et intelligent) qui a reçu des greffes d’éléments, d’organes mécaniques. L’histoire du terme et du projet de cyborg est directement liée à celle de l’aventure spatiale : Manfred Clynes et Nathan S. Kline les ont forgés pour rédiger un article intitulé « Cyborg and Space », publié en 1960, dans lequel ils proposent d’« incorporer délibérément des éléments exogènes qui permettent d’étendre les fonctions d’autorégulation de l’organisme, afin de l’adapter à de nouveaux environnements ».
Les programmes spatiaux n’en sont évidemment pas encore arrivés à ce stade de « manipulation » des êtres humains ; mais, d’une manière plus naturelle, les astronautes ne sont-ils pas d’ores et déjà sélectionnés sur des critères qui ne relèvent pas du seul acquis mais aussi de l’inné ? Et si les premiers cyborgs terriens existent déjà et en nombre (nous sommes nombreux à porter des prothèses !), pourquoi ne pas envisager des « prothèses spatiales » pour rendre plus sûrs les futurs voyages dans l’espace ?
Interroger, évaluer les aventures extraterrestres
À cette question, Clynes et Kline répondaient en invoquant le motif de l’exploration de
l’espace ; un motif qui doit toujours être interrogé et évalué non seulement par la communauté scientifique, mais aussi par l’humanité dans ses représentations les plus officielles et les plus cohérentes. Ne devrait-il pas en être de même dans toutes les aventures terrestres et surtout « extraterrestres » que nous promettent pour demain les sciences et les techniques d’aujourd’hui ? Génie génétique, transhumanisme ne doivent pas être jugés, approuvés ou condamnés a priori, mais interrogés à l’aune de nos désirs, de nos rêves et, en fin de compte, de notre raison, la plus humaine de nos qualités.
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